Les Danses Macabres

Anima Mundi

Thomas Gervais, 2006

La vue de l’ancien camp n’avait rien de bien impressionnant. Les anciennes bâtisses en bois étaient tellement rongées par les éléments qu’il n’en restait que quelques piliers et sections de murs, le tout recouvert de neige. Le regard de Thomas Gervais était beaucoup plus attiré par le lac Beauchamp, à sa gauche, mais son devoir de politicien le ramenait toujours vers la quarantaine de personnes qu’il avait dû accompagner, et surtout à Luciuk.

Luciuk regardait attentivement l’hommage à Nellie Manko que lisait sa sœur aînée, dernière survivante du camp de Spirit Lake.

« To you from failing hands we throw the torch; be yours to hold it high. If ye break faith with us who die we shall not sleep, though poppies grow in Flanders fields. »

La foule était bigarrée, et peu d’Austro-Hongrois assistaient à la cérémonie. Les organisateurs avaient invité des espèces d’occultistes de second rang à animer la séance, et Gervais dû se forcer à réaliser que, après tout, l’absurde de demander de l’aide de médiums n’avait en son essence que peu de différences avec les charlatans colportant des religions.

Une fois Mary Manko descendue du podium, un immense homme pris place sur le podium, regardant droit vers le cimetière, pendant que chaque membre de la foule allumait un cierge et le levait en souvenir des défunts. Gervais s’exécuta également.

Le grand homme pris la parole et sembla héler les habitants du cimetière, à moitié en français et à moitié d’une quelconque langue africaine. Gervais peinait à ne pas laisser pointer ses questionnements. On était loin de la cérémonie chrétienne orthodoxe à laquelle il s’attendait. Qu’est-ce que cet homme faisait ici?

Ses pensées furent interrompues par un son de course à sa gauche. Une jeune femme d’une vingtaine d’années s’était élancée dans les bras d’un homme qui devait être son père. Ses espadrilles ne laissaient aucune marque à leur passage, et plus encore que ses vêtements d’été, c’était sa blancheur qu’on remarquait, une blancheur telle qu’on aurait pu la confondre avec la neige, sauf pour un bandeau rouge autour du cou, une marque prononcée comme si on l’avait serré avec une ceinture.

Des exclamations attirèrent son regard vers l’avant, puis la droite, puis encore à gauche, au fur et à mesure que d’autres gens tout aussi pâles se joignaient à la foule, apparemment sortis de nulle part.

S’éloignant de la foule pour reprendre ses esprits, il remarqua un photographe qui avait l’air on ne peut plus normal, concentré sur son travail, et qui prenait des photos des ruines du camp.

« Tiens-moi ça s’il-te-plaît. » Le photographe lui tendait un vieux livre de la main gauche. Sa deuxième main libérée, il ajusta son appareil pendant plusieurs secondes, non sans jurer après ce dernier. « Dites-moi si vous voyez quelque chose ».

Le photographe ajusta le focus de son appareil en le rendant de plus en plus flou au départ, puis continua à tourner la rondelle dans le même sens, jusqu’à ce qu’une image distordue recommence à apparaître. Dans cette image, la bâtisse apparaissait entière, apparemment, comme elle avait existé à l’époque, et sur une banquette de bois gisait une petite fille, qui avait 3 ans ou plus, qui tentait péniblement de se redresser, et dont le sang qu’elle avait vomi entachait ses doigts.

« On a trouvé Nellie! » Le photographe s’éloigna à une marche rapide, laissant seul le politicien effrayé, qui ne savait trop que penser ni comment réagir.

C’est alors que Thomas senti contre son côté gauche une main qui se glissa jusqu’à son ventre, puis une poitrine se poser sur son dos dans un geste qu’il connaissait si bien, mais qu’il n’avait pas ressenti depuis 3 ans.

Suzannne…